La tentation fondamentaliste
N°171 - Juin 2003
Fondamentaliste, moi ? Jamais ! Je crois à l’évolution, je sais ce que c’est qu’un mythe, je ne me crispe pas sur le passé, je suis ouvert au dialogue, au changement… Je n’ai aucune intention polémique et je me garde bien des écarts du fanatisme, de l’intégrisme ou du sectarisme !
Oui, mais… N’y a t-il pas en chacun de nous un besoin - fondamental - de sécurité, d’assurance, de certitudes auxquelles se raccrocher alors que tout bouge, disparaît, ou se transforme. Sommes-nous si sûrs de ne pas nous raidir devant les agressions d’une modernité sécularisée et positiviste ? Sinon, comment expliquer la vague actuelle des fondamentalismes ?
C’est cette tentation fondamentaliste, cette « angoisse du fondement » comme l’appelle l’un des auteurs, que les différents articles de ce numéro tentent d’explorer. Au point de vue géographique d’abord : Si le mot « fondamentalisme » rime souvent dans nos esprits avec « islamisme », les évènements actuels montrent bien son influence dans les pays occidentaux, spécialement anglo-saxons. Et si le Proche et le Moyen-Orient sont mis à feu et à sang par deux courants qui ostensiblement se réclament de cette veine, l’Asie plus lointaine, spécialement l’Inde, n’en est pas exempte, comme l’indique un article de première main sur le sujet.
Et le foisonnement des Églises évangéliques ou pentecôtistes, souvent fortement teintées de fondamentalisme, en Amérique Latine comme en Afrique, pose aussi question. Même les Églises établies, même l’Église catholique succombent à la tentation de l’intégrisme ou d’un centralisme excessif qui cherche trop à préserver des « acquis » réputés intouchables. Jusqu’aux congrégations religieuses qui peuvent être fondamentalistes dans leurs manières de se référer à leurs fondateurs/trices.
Il valait donc la peine dans ce numéro qui est le dernier sur le thème de l’altérité, d’élargir le cercle de nos réflexions. C’est ainsi que l’économie elle-même peut dans certains cas devenir fondamentaliste, qu’il y a une manière fondamentaliste de lire la Bible, ou tout autre texte fondateur, qu’un document de la Commission Biblique sur l’interprétation de la Bible dans l’Église assimile à une forme de suicide de la pensée. Un monde qui se vit sans Dieu appelle presque forcément une réaction de la part de ceux qui cherchent à maintenir à tout prix une révélation venue d’en haut et donc à leurs yeux intangible. Enfin, il faut aussi s’intéresser à la psychologie des individus, pour lesquels une société hétérogène comme celle où nous vivons peut amener un « clivage » entre une composante « adaptée » au monde moderne et une autre attachée aux croyances plus anciennes. De là naît un déséquilibre qui peut mener aux extrêmes ; la radicalité et la rapidité actuelles de la confrontation des différences entraînent sans doute la radicalité du retour aux racines. Dans son message pour la Journée de la Paix, le 1er janvier 2002, Jean-Paul II a parlé de ce « fondamentalisme fanatique qui naît de la conviction de ce que sa propre vision de la vérité doit être imposée de force à chacun. »
C’est à chacun d’entre nous de s’interroger pour savoir où se situe son combat, en lui et autour de lui, pour que triomphent la reconnaissance vivifiante de l’autre et l’acceptation d’un monde toujours dans la mouvance de Celui qui est, qui était et qui vient.
Spiritus
Sommaire
Elena Lasida : L’économie serait-elle une religion ?
Jean Louis Schlegel : Pourquoi le fondamentalisme ?
Joseph Comblin : La religion : un facteur politique important
Joseph Moingt : L’angoisse du fondement
Patrick Claffey : Foisonnement chrétien ou signes de malaise social ?
Antony Samy Savarimuthu : La montée du fondamentalisme en Inde
Alain Marchadour : Les dangers du fondamentalisme dans la lecture biblique
Odile van Deth : Obéissance au fondateur ou fondamentalisme ?
Jacques Arènes : Fondamentalisme et modernité
Eugen Elochukwu Uzukwu : Le fondamentalisme à la rencontre de la « catholica ».