GRANDIR EN CATHOLICITÉ

C'est une évidence : le nombre des « prêtres venus d'ailleurs » va croissant. En Europe, la plupart des diocèses en comptent parmi leur clergé. Venus pour des raisons très diverses et dans des conditions parfois difficiles, ils se sont intégrés dans l'Église locale avec des statuts différents. Limitée dans le temps ou non, leur présence ne va pourtant pas sans tensions de part et d'autre. En France où leur nombre aurait doublé durant ces six dernières années, ils représenteraient environ 9% du clergé, 14% en Belgique, 22% dans les cantons de Vaud et Genève en Suisse. . . Face à la pénurie de prêtres, il y a certes des urgences. Pourtant, de sérieuses questions subsistent. Peut-on se contenter d'une telle « dynamique palliative » et tout à la fois mener à bien la tâche d'évangélisation au sein des sociétés postmodernes d'Occident ? Et peut-on encore vouloir la mener sans tenir compte des évolutions en cours, en particulier celles du ministère presbytéral dont la figure a longtemps dépendu du quadrillage paroissial ?

Ce sont là des évidences que rappellent Mgr A. Rouet et son presbyterium : « Quand j'ordonne un prêtre, confie l'archevêque de Poitiers, je ne pars pas du nombre de clochers, mais je demande à l'Esprit saint de
donner les "collaborateurs dont a besoin le ministère apostolique". C'est lui qui est premier : l'ordination est un envoi au nom de l 'Évangile pour les hommes et afin de construire des communautés, le Corps
du Christ, qui soient signes pour les hommes d'aujourd 'hui ». Voilà l'aventure à laquelle est conviée chaque Église. L'enjeu, rappelle très justement Alphonse Barras, c 'est la « catholicité de l'Évangile, l'inculturation de la foi, bref une véritable évangélisation dans le dialogue "foi et raison" dans nos contrées d'Occident ». Ce n'est donc pas tant la présence des prêtres venus d'ailleurs qu'il faut ériger en problème que les moyens que se donne l'Eglise, ici en Occident comme ailleurs, pour être authentiquement missionnaire.

Ce numéro voudrait aider le lecteur à prendre en compte ces multiples implications et ne pas se contenter d'affirmations simplistes sur un sujet aussi complexe que délicat. Arnaud Join-Lambert le reconnaît : une réflexion sereine sur le sujet est difficile « d'autant plus que la dimension affective est très touchée ». Il préconise donc de mettre à plat toutes les données de la question sans toutefois laisser s'affadir en nous
la conviction qu 'il s'agit bien là d'un « signe des temps ».

C'est pourquoi notre dossier s'ouvre par un essai d'Emmanuel Babissagana permettant de placer la question dans un cadre plus large, celui du phénomène migratoire habituellement présenté comme un problème en soi. Or, découvrir son potentiel novateur nécessite de l'appréhender avec l'esprit libéré des clichés et des préjugés, l'imaginaire affranchi de ces réflexes qui alimentent les mécanismes de la discrimination. Les propos d'A. Barras et d'A. Join-Lambert qui s 'ensuivent nous ramènent à la réalité ecclésiale d'aujourd'hui. Pointant les défis et les enjeux les plus importants, ils en appellent à des orientations lucides et constructives pour l 'avenir, orientations dans la décision desquelles les prêtres venus d'ailleurs devront être impliqués. C'est ce que confirment les deux témoignages qui suivent, de S. Kalamba Nsapo et C. Yeongkil Lee, qui finissent de nous entraîner à l'intérieur de cette vie d'envoyés de l'Évangile, ceux que Paul désigne comme ses « compagnons de service ». Enfin, en guise d'envoi, c'est L. Monroe qui nous présente l'Église des USA face au défi hispanique. Cette Église passera-t-elle de « l'accueil de l'étranger à sa reconnaissance comme membre à part entière de ce corps qu'est l'ensemble de l 'Église » ? Se laissera-t-elle toucher par le potentiel novateur des Latinos, ces migrants? C'est pourtant ainsi qu'elle grandira en catholicité.

Bernard Keradec