Mission sans missionnaires ?
N°20 - Septembre 1964
Mission sans missionnaires ? Une mission, comme une fonction, est une réalité essentiellement relative qui change de sens selon son objet comme selon le sujet auquel on l'associe, mais quand on parle entre chrétiens de la mission tout court, on sait qu'il ne s'agit ni de la mission des casques bleus, ni de celle des volontaires du progrès ! Il s'agit de la mission qu'a reçue l’Église de faire parvenir à tous les peuples l'annonce du Salut et de mettre les biens messianiques à la disposition de tous les hommes de bonne volonté. Or, pour la première fois depuis les Apôtres, un concile va porter explicitement et directement sa réflexion sur le testament du Maître : « Allez, enseignez toutes les nations, portez l’Évangile à toute la création ».
Deux données nouvelles provoquent l’Église à cette interrogation. D'abord, pour la première fois dans son histoire, notre humanité se trouve aujourd'hui à même d'expérimenter concrètement son unité planétaire et cela - à quoi les missionnaires ont grandement contribué - fournit enfin à l'Église les dimensions exactes de sa mission. Ensuite, pour la première fois également, l'humanité où elle baigne ne discute plus l’Église sur ce qu'elle enseigne mais radicalement sur ce qu 'elle est : « Et toi qui es-tu ? Que dis-tu de toi-même ? » Or, en fixant son programme au concile de notre temps, cette question amène encore forcément l'Église à méditer sur sa mission première qui définit sa première raison d 'être. Selon une heureuse expression du futur Paul VI : « Lorsque l'Église prend conscience d 'elle-même, elle devient missionnaire ».
Mais c'est en de pareils moments qu'il faut se méfier de l'illusion capiteuse des grandioses et généreuses déclarations d'intention qui enflent les cœurs, donnent bonne conscience et... laissent les choses en l'état. La belle avance de proclamer tout le monde missionnaire si c'est pour aboutir à ce qu'il y ait de moins en moins de départs missionnaires ! « Plus l'Église veut se sentir missionnaire, plus elle doit veiller à garder à un tel mot son sens », disaient les évêques français en 1960. Plus aussi une mobilisation se veut générale et plus elle exige d'ordre dans une claire répartition des tâches ; autrement c'est la paralysie dans la confusion. Et c'est un peu ce qui inquiète, dans l'actuelle euphorie des envolées missionnaires, ceux qu'on appelle avec un certain agacement les spécialistes de la mission. Que l'on considère qu'ils aient échoué ou que l'on reconnaisse au contraire - sinon en même temps, et d'ailleurs aussi faussement - que leur mission est achevée, la conclusion semble unanime dans l'église de France : « la mission n'est plus l'affaire de ces spécialistes ». L'expression est ambiguë mais beaucoup la traduisent concrètement par une mise à l'écart des instituts missionnaires. Au reste, même quand on veut bien reconnaître que « leur rôle n'est pas terminé », on le fait sur un tel ton et de façon si négative qu'on mettrait en fuite n'importe quelle vocation ! lmagine-t-on sérieusement qu'un jeune puisse s 'enthousiasmer pour « une-tâche-qui-n'est-pas-encore-inutile » ?
Dans ce procès qui leur est fait, à une heure si décisive pour la mission de l’Église, nous avons jugé honnête et nécessaire de faire entendre la voix autorisée des responsables de ces instituts, acceptant même de risquer quelques répétitions pour souligner leur accord sur des points essentiels. Fournissant encore « 90 % des effectifs des missions », ils sont mieux placés que quiconque pour savoir où en est l'évangélisation du monde, bien placés aussi, par l'expérience de toute une vie, pour témoigner de la réalité et des exigences de la vocation missionnaire, à la fois mission et grâce, appel et envoi, charisme de l'Esprit et fonction d’Église.
Conscients de tout cela, conscients aussi de la vanité qu'il y aurait à transformer en solution de remplacement les précieuses solutions d'appoint qu'on se prépare à mieux organiser, de plus en plus paralysés par les difficultés de renouvellement que leur crée la défiance accumulée autour d'eux, ces hommes préviennent des risques de régression de la mission. Leurs instituts n'ont beau être - et c'est leur gloire - que les instruments de la mission universelle, la question est de savoir si l’Église a désormais intérêt à s 'en passer, si la mission continuera avec ou sans missionnaires.
Problème grave, dira-t-on, mais revenait-il à une revue de spiritualité missionnaire de le soulever ? Oui, car il touche d'infiniment près à notre propos. Pour nous, en effet, la spiritualité missionnaire est avant tout la spiritualité des missionnaires, celle que leur imposent les devoirs et les grâces de leur vocation propre. S'il n'y a pas de vocation missionnaire, notre projet perd tout son sens. Or, on ne voit guère comment on pourrait, sans toucher à la théologie de ces vocations, se désintéresser de structures que l’Église s'est données précisément pour leur offrir un accueil, une formation et un soutien appropriés. Bien sûr, il faut aussi - mais c 'est une autre tâche à laquelle, jusqu'ici, Spiritus ne s'est pas dérobé - il faut aussi que ces instituts se mettent allégrement dans le vent de l'Esprit, qu'ils s'immergent de grand cœur dans les profonds courants d 'aggiornamento qui rajeunissent l’Église d'aujourd'hui. Ce serait peu connaître l'ensemble des missionnaires que de penser qu'ils ne souhaitent pas y contribuer et qu'ils ne souffrent pas les premiers de certains immobilismes.
Spiritanus
Sommaire
LÉON FOSTY : La mission en régression
MAURICE QUÉGUINER et ANDRÉ MARILLIER : Départs temporaires et engagements à vie
LÉON VOLKER : Défense de la vocation missionnaire
JOSEPH HIRTZ : Au service du devoir missionnaire des diocèses
PAUL FALCON : Vœux missionnaires de Vatican I à Vatican II
ATHANASE BOUCHARD : Où en est l'idée missionnaire ?
NOTES, LIVRES ET CHRONIQUES
par A. BOUCHARD, J. BOUCHAUD, J. GUENNOU, D. NOTHOMB, A. RÉTIF
La chute des vocations missionnaires en France
Le Concile en attente de sa percée missionnaire
La Congrégation de la Propagande et les nationalismes
Bibliographie : Concile et Missions (Il)
Courrier de la revue : Espoirs missionnaires au Concile
Livres reçus à la rédaction
PRINCIPAUX AUTEURS RECENSÉS
BECKMANN (329) - BENGSCH (335) - BREMS (335) - DANIELOU & COLLAB. (333) - DEISS (332) - ELIADE (331) - GROSSOUW (332) - HENRY & COLLAB. (333) - von HUGEL (333) - JAOEN (330) (334) - LAFON - S CHNACKENBURG (332) - TCHIDIMBO (330) - TEMPELS (331) - WENGER (334).