L'art de se faire accueillir
N°201 - Décembre 2010
VERTUS MISSIONNAIRES
Le dossier de ce numéro 201 ne traite pas d’un sujet particulier, mais de la mission et de la missiologie en général. Autre caractéristique atypique : à l’exception du premier, les articles n’abordent pas de thème missionnaire spécifique, mais présentent plutôt des aperçus généraux invitant à en prolonger l’étude. Plus d’un missionnaire sur le terrain se demandera si ces aperçus missiologiques peuvent être utiles… À lui de juger! En ce qui me concerne, ils m’ont permis de pressentir ce que la mission signifiera à l’avenir et ce qu’elle attend de moi, aujourd’hui et demain.
La rédaction était d’avis que la présentation d’un panorama missiologique ne pouvait faire l’économie d’une réflexion sur les origines historiques de la mission. Le P. Claude Tassin a généreusement accepté d’esquisser la préhistoire de la mission, ce qui a conduit à une surprise. À l’époque qui suivit immédiatement la mort et la résurrection de Jésus, l’ouverture au « monde », aux « autres » fut caractérisée par le discernement de l’émerveillement de l’autre devant la nature spécifique de la vie en commun des disciples et par la disponibilité de ceux‑ci à accepter l’hospitalité de cet autre. Il s’agissait donc moins d’accueillir les autres que de se laisser accueillir par eux ! La rédaction a ensuite demandé à trois missiologues dont les champs de recherche se situent dans des zones géographiques et culturelles différentes, de présenter un aperçu des derniers développements de la science des missions en tenant plus particulièrement compte des efforts entrepris pour développer l’art de se faire accueillir par l’autre.
Le genre littéraire « aperçu général » a ceci d’intéressant qu’il permet de faire rapidement connaissance d’un grand nombre de développements, mais il présente aussi un inconvénient: le lecteur a parfois l’impression que les arbres cachent la forêt. Réfléchissant à cette difficulté, j’ai été frappé par un article de Paul Knitter, « Le missionnaire, homme de terrain qui fait de la théologie comparée. Vers une missiologie fondée sur les vertus » (« The Missionary as Grassroots Comparative Theologian. Toward a Virtue‑Based Missiology », dans Verbum svd, 51 [2010] 2, p. 131‑149). Réfléchissant à l’avenir de la mission et des sciences de la mission, Knitter propose de dépasser l’opposition entre la théologie pluraliste et la théologie de la mission. Au lieu de par‑ tir d’une théologie bien définie d’avance, les sciences de la mission devraient partir de l’expérience du « bon » missionnaire, c.‑à‑d. le témoin de la mort et de la résurrection de Jésus‑Christ qui se laisse accueillir par l’autre. Il s’agira donc de construire la missiologie sur le fondement des authentiques vertus missionnaires. Knitter pense en avoir trouvé une présentation adéquate dans l’ouvrage de Catherine Cornille, L’impossibilité du dialogue interreligieux (The Impossibility of Interreligious Dialogue, New York, Crossroad, 2008).
Quelles sont ces attitudes intérieures qui permettent au témoin du Christ de s’engager dans une conversation fructueuse avec l’autre ? D’abord l’humilité du cœur. Le missionnaire ne sait pas tout, mais il sait qu’il peut toujours apprendre de l’autre. Qui plus est, il est conscient que la doctrine de son Église n’a pas de réponse à toute question, qu’il faut continuellement parfaire cette doctrine. L’humble disciple est en même temps totalement engagé : il s’identifie à l’Évangile qu’il sert avec passion. Bien sûr, il ne connaît pas toute la vérité en Christ, mais il est convaincu que toute la vérité se trouve en Christ! La troisième vertu du missionnaire, c’est sa confiance inébranlable dans l’Esprit qui relie toutes les religions entre elles, et cela malgré leurs différences. L’Esprit nous permet d’entrer en conversation, de nous comprendre et d’apprendre les uns des autres. Le missionnaire qui prend au sérieux la différence radicale entre les religions et se laisse en même temps guider par l’Esprit, garant de l’interconnexion, développe une grande empathie pour l’autre. L’un permet à l’autre d’entrer dans son monde et vice‑versa quoique, gardant toujours une certaine distance, ils ne se comprennent jamais complètement. Enfin et surtout, l’hospitalité qui est la vertu sur laquelle tout dialogue est fondé.
Que ces vertus, déjà d’une importance cruciale pour toute vie missionnaire, puissent aussi servir de clé de lecture pour les aperçus qui suivent ! Encore un grand merci au P. Franz Helm pour son aide précieuse dans la coordination de ce dossier.
Eric Manhaeghe
Sommaire
ACTUALITÉ MISSIONNAIRE
Pierre Humblot : Quel avenir pour l’Église d’Iran ? Cri du cœur d’un missionnaire à l’occasion du Synode pour le Moyen-Orient
Bernard Keradec : Consentir à la conversion. Le 35ème Chapitre général des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée
Jean-François Meuriot : Assemblée générale de la Société des Missions Étrangères de Paris
Spiritus : Il est temps de nous ressaisir ! Appel de l’archevêque et des prêtres de Conakry au peuple de Guinée
DOSSIER : L'ART DE SE FAIRE ACCUEILLIR
Claude Tassin : Au commencement était « la maison ». Regard socio-théologique sur la préhistoire de la mission chrétienne
Franz Helm : Quel accueil pour les prédicateurs de la Bonne Nouvelle ? Situation de la mission chrétienne et des sciences de la mission en Europe germanophone
Kirsteen Kim : La spiritualité missionnaire asiatique
Stephen Bevans : Thèmes majeurs en missiologie nord américaine
VARIA
Nestor-Désiré Nongo Aziagbia : Une approche humaine de la fraternité
CHRONIQUES
Michael Amaladoss : Un théologien atypique, Raimon Panikkar
Eric Manhaeghe : Les sciences de la mission dans quelques revues
LIVRES ET REVUES
Recensions
AFOM, Figures bibliques de la mission.
Dieudonné Makola, Les méthodes d’évangélisation dans l’Église congolaise d’hier et d’aujourd’hui.
Jacques Scheuer, Un chrétien dans les pas du Bouddha.
Jean d’Amour Dusengumuremyi, Prends et lis.
Jean-Claude Larchet, Une fin de vie paisible sans douleur, sans honte…
Geneviève Comeau, Peut-on donner sans condition?
Dominique Avon et Michel Fourcade (dir.), Un nouvel âge de la théologie? 1965-1980.
Keith Beaumont, Petite vie de John Henry Newman.
Renzo Mandirola, Avancez dans la joie de votre vocation.