Mission et conscience écologique
N°203 - Juin 2011
ISSUS DE LA TERRE
De nouveaux mots japonais sont venus enrichir notre vocabulaire. Nous connaissions déjà Hiroshima et Nagasaki, les deux villes dévastées par une bombe atomique en 1945. Il y a quelques années, nous nous sommes rendu compte de la réalité affreuse évoquée par le mot tsunami. Le 12 mars 2011 un tremblement de terre d'une force inouïe, suivi d'un tsunami gigantesque a projeté l'enfer sur des milliers de paisibles Japonais. Blessés, effrayés, déroutés, les survivants se sont soutenus, entraidés et ont fait l'objet de la solidarité de la nation nippone entière et d'une bonne partie du reste du monde. Ce genre de catastrophes fait partie de la vie dans ces régions du Japon. Les gens n'en souffrent pas moins que ceux d'autres pays, mais ils ont appris à penser en termes de rétablissement et agir en conséquence. La vie continuera. Sauf à Fukushima où quatre réacteurs atomiques ont été détruits et personne ne réussit à maîtriser pour le moment les radiations mortelles.
La décision de construire une centrale nucléaire à Fukushima n'a jamais fait l'unanimité. Des scientifiques ont sonné l'alarme en évoquant le danger des tsunamis dans la région, et dénoncé l'orgueil de leurs collègues qui se prétendaient capables de protéger le site avec des moyens « modernes ». Les habitants avaient peur, ils savaient que les mangroves constituent la meilleure protection contre les indomptables tsunamis et on leur a donné des primes d'encouragement pour qu'ils ne protestent pas trop. La centrale a été réalisée et a fourni de l'électricité jusqu'à Tokyo. Rien ne se passait et quand on s'habitue à jouer avec le feu, on finit par croire qu'on peut le maîtriser en toute circonstance. À Fukushima on sait désormais que ce n'est pas vrai, l'homme y est écrasé par sa propre création. Fukushima restera une interpellation pour des siècles !
L'interpellation de Fukushima me fait penser à la chanson D'un arbre (Van nen boom) du chanteur flamand Willem Vermandere. Il y raconte comment il a répondu à une interpellation personnelle semblable mais moins tragique. Réponse qui a conduit à sa conversion à une nouvelle vision de la nature et de son rapport à celle-ci. Il évoque d'abord un jeune arbre qu'il voit pousser dans son jardin. L'arbre ne lui plaît pas du tout. Laid comme un pou, constamment attaqué par des parasites, déjà dé- formé, cet arbre est vraiment moche ! « Bien sûr, dit le chanteur, Dieu donne la croissance, mais c'est l'homme qui décide ! » Il prend donc sa hache pour donner le coup de grâce à cette créature indigne de son jardin. Ayant pris son élan, une douleur fulgurante le frappe dans le dos et la hache tombe par terre. « Sauvé au dernier moment comme Isaac par le pouvoir divin, l'arbre reste là où il est », continue la chanson. À partir de ce moment, l'homme prend soin de son arbre comme de ses enfants, il le soigne comme un jardinier japonais : feuille par feuille. Comblé, l'arbre pousse bien et devient imposant ; l'homme et son arbre vivent heureux. Dans la dernière strophe, le chanteur demande qu'on plante deux branches de cet arbre sur sa tombe pour qu'il puisse se reposer pour toujours aux racines de ses propres arbres !
Le dossier de ce numéro s'inscrit dans cette prise de conscience écologique grandissante. Il ne s'agit pas tellement de rappeler que Dieu a confié sa création à l'homme pour qu'il en soit l'intendant. Dans cette vision, l'homme n'est bien sûr pas le propriétaire de la création, mais il est néanmoins considéré comme son couronnement, ce qui le rend supérieur aux autres créatures terrestres. Point de vue fortement contesté de nos jours par ceux qui voient l'homme comme étant partie intégrante de la terre : nous ne sommes pas descendus sur cette terre, nous en sommes issus ! Il est par conséquent insensé d'agir en compétition avec, voire en opposition à, notre environnement naturel. L'homme est comme une cellule saine et spécifique d'un organisme vivant : la terre. Il ne peut en aucun cas dégénérer en une cellule cancéreuse, une cellule coupée de sa mémoire génétique et de la sagesse accumulée au cours de millions d'années. Une cellule qui se déploie comme séparée du corps en provoque la surpopulation et épuise l'organisme qui, en fait, la soutient. La cellule cancéreuse commet ainsi en quelque sorte un suicide en tuant l'organisme dont elle fait partie. Les auteurs de ce dossier réfléchissent sur la vie humaine en tant que cellule vivante et saine de la Terre-Mère. Rapport qui permet à l'homme de rencontrer et d'honorer Dieu, le Créateur de tout l'univers, présent et agissant dans ce même univers. Vision qui n'est pas sans conséquences pour la façon dont nous concevons et vivons la mission.
Eric Manhaeghe
Sommaire
ACTUALITÉ MISSIONNAIRE
Enzo Abbatinali : L’Église qui est au Sénégal. Passé – présent – futur
Christophe Roucou : Bouleversements dans certains pays arabes
Théodore Adrien cardinal Sarr : Le pouvoir pour servir les autres. Déclaration du président de la RECOWA-CERAO
DOSSIER : MISSION ET CONSCIENCE ÉCOLOGIQUE
Jacques Arnould : Une seule Terre, une seule humanité, un seul Sauveur
Clodomiro L. Siller Acuña : Les autochtones, le monde et l’écologie, aujourd’hui
Roberto Tomichá Chapurá : Vers une nouvelle spiritualité de convivialité respectueuse. Mission et conscience écologique, un point de vue de l’Amérique latine
Jose Thayil : Éco-théologie et spiritualité. Une perspective asiatique
Bede Ukwuije : Pour une approche doxologique de l’environnement
VARIA
Christian de la Bretesche : Pour une inculturation réussie de l’Évangile. Un apport de l’ingénierie sociale
CHRONIQUES
Eric Manhaeghe : La nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne. Les lineamenta de la treizième Assemblée générale ordinaire du Synode des Évêques
Spiritus : La XXIIe session de la Conférence du dialogue entre chrétiens et musulmans du Centre Al-Liqa’ à Bethlehem
LIVRES
Recensions
André Fossion, Dieu désirable.
Henri Bourgeois, Questions fondamentales de théologie pratique.
Jean-Claude Lavigne, Pour qu’ils aient la vie en abondance.
Guy Lespinay, L’obéissance revisitée.
Jean-Luc Garin et Gérard Hugot, Petite vie du cardinal Decourtray.
Juliette Marneffe Lebréquier, L’or, l’encens et la myrrhe.
Émile Jacquot, Les Spiritains en Haïti (1843-2003).
René Tabard, La vie avec les morts.
Annie Wellens, La lecture ou la louange des abeilles.