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Rencontrer l'étranger, rencontrer Dieu ?

N°219 - Juin 2015

ENTRE MYSTÈRE ET RESPONSABILITÉ

Le dossier de ce cahier, autour de la rencontre interculturelle et de l’inculturation de l’Évangile, est introduit un peu plus loin de façon succincte (p. 149-151). Ce bref éditorial voudrait simplement rassembler quelques réflexions nées d’une relecture « à tête reposée » des diverses contributions qui le constituent. Des réflexions qui se greffent sur la tension entre mystère et responsabilité.

Quand on évoque l’inculturation comme tâche à réaliser, le risque guette d’oublier qu’elle relève d’abord d’un mystère. La façon dont la mission a généralement été comprise et vécue ces derniers siècles imprègne encore nos esprits. Ad gentes, « Décret sur l’activité missionnaire de l’Église » de Vatican II, continue ici ou là à évoquer la mission sous un jour très « actif », parlant de « prédication », d’« évangélisation », d’«implantation de l’Église » (n° 6). Aujourd’hui encore, pasteurs et théologiens restent tentés de chosifier le processus d’inculturation, de le comprendre et de l’aborder comme une « activité » – selon l’intitulé d’Ad gentes – à planifier et à exécuter, au risque d’oublier qu’il s’agit d’abord d’un mouvement dans lequel on est convié à entrer. Une des contributions le dit pourtant bien : l’inculturation «désigne le mystère de la rencontre entre le message chrétien et une culture particulière, selon le paradigme de l’Incarnation, le ʺdevenir chairʺ de la Parole de Dieu » (p. 210).

C’est, en un sens, le déploiement dans le temps du mystère de l’Incarnation, de la construction incessante du Corps du Christ, dont le « protagoniste », l’acteur principal, est l’Esprit-Saint lui-même, selon l’expression de Jean-Paul II dans Redemptoris missio (n° 21). Mystère, dans la mesure où l’on a affaire à une rencontre dépendant de libertés autonomes : celle de Dieu qui a l’initiative et celles des humains accueillant ou refusant son offre. Une véritable inculturation ne s’accomplit qu’au stade où des membres d’un peuple particulier, culturellement situés, inscrivent dans leur vie concrète l’Évangile reçu. Mystère, donc, non pas au sens où l’on n’en pourrait rien dire, mais au sens où le processus nous déborde, où on ne peut le maîtriser, le réduire à un objet de planification pastorale.

L’inculturation, c’est aussi une tâche à réaliser. Plusieurs contributions en soulignent ici un des aspects relevant clairement de nos responsabilités : les modalités de la rencontre entre membres des diverses cultures concernées par le processus d’inculturation, qu’ils soient « porteurs » de l’Evangile ou hôtes qui lui font accueil, que la rencontre elle même ait été délibérément voulue ou seulement subie. Nous sommes alertés sur la lucidité et la vigilance nécessaires pour repérer les stratégies ethnocentriques survenant d’un côté comme de l’autre : jeux d’influence et de pouvoir de la part des cultures en position dominante, ambigüités dans les «conversions» ou repli identitaire du côté des cultures dominées. Responsabilité de chacun de débusquer ce qui s’écarte de l’humain authentique, de discerner ce qui est conforme ou pas à l’esprit de l’Évangile.

Les critères d’une juste inculturation ne peuvent, en effet, être réellement différents de ceux de l’Évangile : la manière dont le Christ a vécu ses propres rencontres humaines, dont s’est déroulée en lui la rencontre entre Dieu et les humains. Tous ceux qui, aujourd’hui, sont impliqués, d’un côté ou d’un autre, dans ce jeu de rencontres concrètes liées à la transmission de la foi sont engagés à les vivre en se laissant inspirer par l’«Acteur principal » de la mission, l’Esprit qui animait le Fils. Tout en cultivant la proximité avec les personnes, accomplissant le bien et offrant son amitié, Jésus a été amené à prononcer des paroles vigoureuses, à démasquer des égoïsmes et des hypocrisies. Mais jamais il n’a cherché à « maîtriser » la rencontre ; il s’en est remis au mystère du Père, plus grand que lui, et à celui des libertés humaines accueillant ou refusant le don divin.

Travailler à l’inculturation c’est oeuvrer à la construction d’une Église offerte comme lieu « où tout le monde peut se sentir accueilli, aimé, pardonné, et encouragé à vivre selon la bonne vie de l’Évangile » (Evangelii gaudium n° 114). Cela ne relève pas d’une simple stratégie, mais d’une spiritualité de la rencontre attentive à la fois au Mystère qui s’y déploie et au risque permanent de se laisser piéger par la fermeture ou le repli.

Jean-Michel Jolibois

Rencontrer l'étranger, rencontrer Dieu ?

Sommaire

ACTUALITE MISSIONNAIRE

Régis Anouil : Sur le chemin de la réconciliation ? Le Sri Lanka à l’heure de la visite du pape François
Paulin Poucouta : Le Synode sur la famille – Un regard d’Afrique

DOSSIER : RENCONTRER L'ETRANGER, RENCONTRER DIEU ?

Jean-Michel Jolibois : Rencontrer l’étranger, rencontrer Dieu ? Interculturalité et inculturation - Cinquante ans après Ad gentes
Alfredo Gomez-Muller : Le fonds utopique de la foi et de la culture. L’expérience de Las Casas
Egle Bonan : Pour une intégration interculturelle : le projet « Jeunes et citoyenneté », un exemple de « bonne pratique » européenne
Michael Amaladoss : La rencontre Évangile - culture : dialogue interculturel et interreligieux. Une expérience indienne
Bede Ukwuije : La foi à l’épreuve des cultures : l’expérience africaine de l’inculturation
Eric Manhaeghe : Débats, pistes de réflexion…

VARIA

John O'Brien : La présence des spiritains au Pakistan. IIe partie : Dialogue avec les chrétiens et avec les Bhils

CHRONIQUES

Jean-Pierre Olivier de Sardan : Comment le salafisme a pu prospérer au Niger
Ghaleb Bencheikh et al : Musulmans démocrates de tous les pays, unissons-nous !
Pierre Diarra : Vivre-ensemble dans un environnement multiculturel : le denier des universités. Colloque international – Abidjan – 17-19 mars 2015

LIVRES

Recensions
Henri-Jérôme Gagey, Les ressources de la foi.
Roger Pasquier, La jeunesse ouvrière chrétienne en Afrique noire (1930-1950).
Marie-Dominique Goutierre, L’homme, route du Christ.
Pierre Claverie, Le livre de nos passages, La Bible.
Souad Benkirane, Les quatre saisons du citronnier.
Stan Rougier, Entre larmes et gratitude. Variations sur les Psaumes.

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