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"Rendez à César..."

N°221 - Décembre 2015

RENVOYÉS À LA SACRISTIE ?

Sous la rubrique Actualité, le tout premier article de ce cahier se fait l’écho de la façon dont est aujourd’hui reçue aux Philippines la récente lettre encyclique Laudato si’. Ce document de mai dernier « sur la sauvegarde de la maison commune » mérite bien sûr qu’on s’y arrête plus longuement ; nous y reviendrons dans quelques mois. Notons cependant dès à présent que les diverses questions qu’y soulève le pape François revêtent une dimension politique ; les brefs extraits présentés en page 462 de ce cahier l’indiquent clairement. Evangelii gaudium, en fin 2013, soulignait déjà fortement la dimension sociale de l’évangélisation, la noblesse de l’engagement politique et la responsabilité citoyenne de chacun ; l’encadré qui précède cet édito (p. 388) reprend une partie de ces propos. La mission a indéniablement quelque chose à voir avec la dimension politique de la vie des personnes et des sociétés.

Chez un grand nombre de chrétiens à travers le monde, il faut bien le reconnaître, ce lien entre foi et politique n’est pas clairement perçu. Il est vrai que, bien souvent, le contexte n’est pas porteur : la fonction politique ne donne pas d’elle-même un visage positif. On ne peut le nier, certains hauts fonctionnaires ont tendance à s’installer confortablement dans leur fauteuil et à s’y accrocher comme à une source de privilèges et de revenus, négligeant leurs responsabilités à l’égard de ceux qu’ils sont censés servir. En Afrique, par exemple, certains chefs d’État tendent à s’éterniser au pouvoir, essayant ici et là de faire modifier la constitution pour qu’elle les autorise à briguer un nouveau mandat. Bien des chrétiens se sentent démunis devant de telles situations et sont tentés par la résignation. Des pasteurs s’efforcent de les éclairer, de les encourager à s’engager positivement sur ce terrain à un niveau qui leur est accessible ; d’autres prennent le risque de dénoncer publiquement certains abus intolérables. Dans ce cahier, deux contributions évoquent ces réalités.

Dans le contexte de l’Europe occidentale, français par exemple, l’action politique est assez largement dévaluée aux yeux de la population. Dans sa déclaration de 1999 « Réhabiliter la politique », la Commission sociale de l’Épiscopat français le soulignait déjà ; les choses n’ont pas sensiblement changé depuis. Bien des gens ont l’impression que les gouvernements qui se succèdent sont impuissants à résoudre les grands problèmes tels que les pauvretés, les inégalités sociales, le chômage… Le politique semble ne pas faire le poids face à la grande finance et aux sociétés multinationales. Les décisions prises par les personnes au pouvoir semblent guidées davantage par une perspective électoraliste que par des objectifs à long terme visant des réformes en profondeur. À beaucoup, la classe dirigeante apparaît coupée des préoccupations quotidiennes de la population. Des « affaires » ou tricheries impliquant des personnalités et partis politiques de tous bords viennent elles aussi saper la confiance des citoyens. Il n’est guère étonnant alors que tant de personnes, notamment chez les jeunes générations, en arrivent à se désintéresser du jeu politique, à s’absenter totalement des consultations électorales.

Même si, partout, on trouve aussi des responsables sincèrement dévoués au bien commun, le peu de crédit du politique reste préoccupant. Devant un tel constat, la réponse de Jésus à la question sur l’impôt dû à l’Empereur prend une résonance particulière : « Rendez à César ce qui est à César… » Pour un chrétien, l’engagement sociopolitique n’est pas facultatif. Pas simple pour autant : il s’agit aussi de rendre « à Dieu ce qui est à Dieu ». Quand les ouvriers pastoraux risquent une parole, une initiative dans ce domaine, il s’en trouve toujours pour leur reprocher de « se mêler de politique » et, selon l’expression reprise dans ce dossier, les renvoyer « à la sacristie ». Comme le suggère notre photo de couverture, l’organisation du lien social est déjà, en soi, chose fort complexe ; ceux qui se veulent témoins de l’Évangile ont, en plus, à discerner et à opérer des choix en fonction du contexte local et des circonstances qui se présentent. Aucune situation n’est identique à une autre. Mais telle expérience ou analyse menée en Inde ou au Bénin, au Chili, aux États-Unis ou en Europe, peut stimuler ailleurs la réflexion, suggérer une piste d’action. Le présent dossier, dans sa diversité, voudrait apporter un éclairage sur les enjeux de pareils choix auxquels nous engage inévitablement un authentique témoignage évangélique.

Jean-Michel Jolibois

"Rendez à César..."

Sommaire

ACTUALITE MISSIONNAIRE

Daniel Sormani : Redécouvrir nos liens réciproques. Les Philippines et Laudato si’
Yvon Christian Elenga : Pratique constitutionnelle et alternance démocratique en Afrique. Quand les évêques s’en mêlent

DOSSIER : "RENDEZ A CESAR..."

Hippolyte Simon : « Rendez à César… » : un appel au discernement permanent
Patrick Gnana : Théologie publique en Asie. Avec un regard particulier sur le contexte indien
Efoé Kuassi Julien Penoukou : Mission de l’Église dans le champ politique au Bénin
Vincent J. Miller : Après les « guerres culturelles », quelle politique aux États-Unis ?
Sylvie Goulard : Éloge de la discrétion efficace. Les chrétiens et l’Union européenne
Luis Martinez : L’Église des pauvres au Chili

CHRONIQUES

Christian Tauchner : Europe, terre de mission ?
René Tabard : Perspectives missionnaires des spiritains en France

LIVRES

Recensions
Annie Lenoble-Bart (dir.), Missionnaires et Églises en Afrique et à Madagascar (XIXe-XXe siècles). Anthologie de textes missionnaires.
Geneviève Comeau, S’asseoir ensemble. Les religions source de guerre ou de paix ?
Isabelle Pommel, Yves Raguin 1912-1998. L’expérience spirituelle d’un jésuite en Asie.
Luigino Bruni, La blessure de la rencontre. L’économie au risque de la relation.
Mgr Pierre d’Ornellas (dir.), Réflexions sur le catéchuménat. De la nécessité du discernement d’un chemin chrétien pour les personnes qui ne peuvent pas, actuellement, être baptisées.
Frédérique de Watrigant, Passionnés de Jésus Christ. Étienne Pernet et Antoinette Sage, fondateurs des Petites Soeurs de l’Assomption.
René Charrier, En chemin avec le peuple Hmong. Du Laos en Guyane et en France.
Pierre de Charentenay, Les Philippines, archipel asiatique et catholique.
Justice et Paix France, La banlieue, lieu de solidarité internationale. L’expérience des communautés religieuses.

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