Être de plusieurs religions ?
N°229 - Décembre 2017
UN CHAMP QUI NE CESSE DE S'ÉLARGIR
Être amené à vivre de deux traditions religieuses différentes, c’est un peu comme entretenir une affection, une piété filiale pour des parents malheureusement séparés… Une situation qui a quelque chose de déchirant ! C’est pourtant la perspective qui se présente à un nombre toujours plus grand de personnes du fait de la multiplicité des contacts entre diverses cultures et communautés religieuses : dans deux voies distinctes elles trouvent lumière et nourriture et se demandent comment elles pourraient tourner le dos à l’une d’entre elles. C’est toute la question d’une « double appartenance » ou double affiliation religieuse : dans la mesure où la foi chrétienne est concernée, une même personne peut-elle adhérer à deux « fois » religieuses différentes ? Si oui, jusqu’à quel point ? En quel sens faut-il alors comprendre l’expression « double appartenance » ? Quelles questions cela pose-t-il à la mission chrétienne ?
La question, bien sûr, n’est pas nouvelle. Bien des analyses et réflexions éclairantes ont déjà été menées, comme par exemple celles que rassemble l’ouvrage publié en 2000 par Dennis Gira et Jacques Scheuer d’où est tiré l’encadré ci-contre. Mais de telles situations frontalières tendent à se multiplier. Avec le temps, on en perçoit mieux la complexité tout comme l’impossibilité de se contenter de réponses faciles. D’où l’intérêt de revisiter la question en s’attachant aux situations particulières, qui souffrent mal d’être regroupées sous des considérations générales.
Dans cette multiplicité, on peut tout de même distinguer deux grands cas de figures : celui d’un chrétien qui découvre une autre foi religieuse – ou au moins certains de ses aspects – et cherche à l’intégrer à la sienne propre ; et le cas d’un adepte d’une foi religieuse différente, qui découvre la foi chrétienne, y adhère et cherche à y intégrer sa foi d’origine. Le premier était, pour une part, l’objet du dossier de Spiritus de mars 2017 : « Quêtes spirituelles aujourd’hui ». C’est surtout au second cas que s’intéresse le présent dossier.
D’un côté, on pourrait dire qu’être chrétien, c’est faire confiance sans réserve à la personne du Christ et trouver en lui son chemin vers Dieu ; il semble alors bien difficile qu’un tel engagement puisse être partagé. D’un autre côté, on peut comprendre que ceux qui découvrent le Christ et sont attirés par lui puissent souhaiter garder le positif de leur héritage ; et cela non seulement sur le plan culturel mais aussi sur le plan religieux, puisque, bien souvent, les dimensions culturelles et religieuses d’une existence humaine sont dans une large mesure inséparables. En ce sens, comme le suggère C. Geffré dans les lignes ici reproduites, l’expression « double appartenance » peut avoir une certaine pertinence. L’attitude juste, équilibrée, n’est pas aisée à trouver, ni surtout à tenir dans la durée.
Dans le cadre forcément limité de ce dossier, il nous a paru utile d’examiner la réalité des choses à partir de quelques situations concrètes. Il s’agit, dans chaque cas, d’essayer d’abord de comprendre comment se pose la question pour les personnes concernées, en fonction de leur parcours spécifique. On peut alors engager un discernement à la lumière de l’Évangile et chercher la manière la meilleure, ou la moins mauvaise, pour la communauté chrétienne, d’accueillir la démarche de ces personnes, qu’elles soient encore sur le seuil de l’Église ou déjà engagées en son sein. Y a-t-il d’ailleurs une seule bonne manière de faire ? C’est un vaste champ de la mission qui, sous nos yeux, ne cesse de s’élargir… Les Églises vivant au sein des sociétés pluralistes y sont le plus exposées ; mais aucune n’est à l’abri de ces appels engageant leurs membres à écouter plus attentivement ces personnes avec leur parcours particulier, à leur proposer un accompagnement respectueux et lucide à la fois, à créer un climat communautaire de dialogue et de discernement.
Les différentes études de ce dossier nous invitent à considérer tour à tour des situations où des chrétiens ont à vivre la rencontre avec le bouddhisme, des situations mettant en présence de la foi chrétienne des personnes et des groupes enracinés dans l’hindouisme, dans les traditions religieuses du monde de la Caraïbe, du Brésil, d’Afrique subsaharienne. On peut s’attendre à ce que les modalités d’accueil de ces personnes et de ces groupes revêtent des formes assez diversifiées, dont certaines sont suggérées par telle ou telle des présentes contributions.
Jean-Michel Jolibois
Sommaire
ACTUALITE MISSIONNAIRE
Jaklin Pavilla : Chrétienne en politique
Sidnei Marco Dornelas : Les défis de la mission en Panamazonie. Naissance du Réseau ecclésial panamazonien (REPAM)
Christian Salenson : Le dialogue entre politique et mystique
DOSSIER : ÊTRE DE PLUSIEURS RELIGIONS ?
Dennis Gira et al. : Se nourrir du Christ et du Bouddha : une expérience à accompagner
Rojan Sebastian : Sur la frontière entre deux univers religieux
Laënnec Hurbon : Catholique et vodouisant. Une appartenance religieuse multiple en Haïti
Faustino Teixeira : Le rythme enchanté des religions au Brésil : la question du syncrétisme
Elochukwu Uzukwu : Vivre et mourir en chrétien - Rite gestué et dramaturgie de mort-vivant
Benjamin Akotia : L’hospitalité cultuelle des chrétiens d’Afrique
CHRONIQUES
Marie-Christine Rousseau : Chapitre général des Soeurs Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique (SMNDA)
Christian Tauchner : Un siècle de transformations de la mission et de la missiologie
LIVRES
Recensions
Achiel Peelman, La communion des saints. Approche chrétienne et amérindienne.
Jean-Marie Marconot, La Bible et les écrivains.
Tiziano Tosolini (ed.), God between the lines.
Bernardo Colmenares Gómez (ed.), Nouveaux visages de la Mission. Du « sens unique » à l’échange entre Églises locales !