Disciples-missionnaires selon l'Esprit
N°235 - Juin 2019
« REVENIR HUMBLEMENT À LA SOURCE... ET SE RISQUER EN TERRAIN INCONNU »
Bien des choses ont déjà été dites à propos de divers scandales venus récemment au jour et impliquant, de plusieurs manières et sur tous les continents, des personnalités en vue dans l’Église ou des ouvriers apostoliques plus anonymes : faits douloureux d’abus sexuels à l’encontre de mineurs, de religieuses, s’accompagnant dans certains cas d’une gestion déficiente de ces situations par les responsables ecclésiaux. Cela a attiré l’attention, de façon plus large, sur la réalité préoccupante de plusieurs formes d’abus de pouvoir par des religieux et des clercs. Nous n’allons pas ici commenter à nouveau ces faits, mais seulement y raccrocher une réflexion personnelle servant d’amorce à notre propos. Sans juger les consciences, nous restons sur l’impression que des personnes ayant reçu une mission ou une charge ecclésiale peuvent en arriver à reléguer à l’arrière-plan l’exigence fondamentale, commune à tous les disciples du Christ, de se laisser sans cesse conformer à l’image du maître-serviteur. Un constat qui éveille, chez tous les dépositaires d’une mission apostolique, la question : où en suis-je dans cette démarche de configuration permanente à Celui dont j’ai décidé librement de me faire le disciple et à la mission duquel j’ai accepté de me consacrer ? M’arrive-t-il de donner priorité au service de ma personne ou de mon institution aux dépens du service de la relation entre le Seigneur et les personnes qui me sont confiées ? En d’autres termes, si je revendique l’identité de missionnaire de l’Évangile, suis-je encore reconnaissable comme tel ? Peut-on lire dans mon existence cet habituel mouvement, lié à ma condition de disciple, d’humble retour à la source évangélique ?
Tout autant lié à ma condition de disciple, il est un autre appel constant que j’expérimente : me risquer hors de mes espaces familiers, pousser vers le large, avancer en eau profonde… L’actuel temps liturgique de Pâques et de Pentecôte nous donne de méditer, dans les Actes des Apôtres, sur la parrèsia, l’assurance – on pourrait dire l’audace, voire le « culot » – de gens pourtant ordinaires et sans instruction particulière, mais manifestement habités par un mystère qui les dépasse de tous côtés. Se laissant pousser par le vent de l’Esprit, ils sortent à découvert, lucides sur les risques qu’ils prennent… C’est aussi ce que nous donnent aujourd’hui à voir nombre de disciples du Christ que des événements ont placés dans une situation à certains égards comparable. Je pense par exemple à ceux qui, au Moyen Orient, à la suite des violences qui se sont déchaînées dans la région et des déplacements de populations qui ont suivi, ont été mis au défi de pratiquer, à l’égard de membres d’autres confessions religieuses, une hospitalité à laquelle les tensions de l’histoire ne les avaient pas vraiment préparés. Ou encore à ces chrétiens de RDC amenés à prendre des risques importants pour résister à la mainmise sur toute une société de la part de politiciens apparemment peu soucieux du bien commun : ils ont ainsi mis en oeuvre, dans un contexte franchement défavorable, une importante dimension de la vocation chrétienne.
Revenir inlassablement et humblement à l’imitation du Maître qui s’est fait serviteur, mais aussi, en réponse aux situations et aux rencontres qui se présentent, oser sortir de nos espaces et sentiers habituels : le pape François ramasse cela dans une formule suggestive : nous sommes des « disciples-missionnaires » (EG 120). Le trait d’union liant les deux termes souligne le caractère inséparable de ces deux appels : missionnaire, suis-je toujours un fidèle disciple ? Disciple, est-ce que je permets à l’Esprit, qui habitait celui dans les pas de qui je tâche de mettre les miens, de bousculer mes frilosités et mes peurs ?
C’est autour d’une telle façon d’aborder la condition de disciple du Christ, à partir de la pratique de plusieurs confessions chrétiennes, que se sont développées les réflexions de la Conférence mondiale sur la mission et l’évangélisation, organisée par le Conseil oecuménique des Églises, qui s’est tenue en mars 2018 à Arusha en Tanzanie. Le présent dossier s’est construit à la fois sur les travaux de cette Conférence, que développent les deux premiers articles, et sur des réflexions plus larges suggérées par la formule du pape François : une étude biblique (dont on tirera plus grand profit si on a la Bible en main) et deux analyses d’expériences ecclésiales : l’une en contexte européen, l’autre en Afrique australe.
Jean-Michel Jolibois
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Sommaire
"ACTUALITÉ MISSIONNAIRE
Paul Grasser : L’oasis du soufi et la graine d’Évangile. 50 ans de cohabitation en République islamique de Mauritanie
Basil Soyoye : Carrefour des Cultures Africaines (CCA)
DOSSIER : DISCIPLES-MISSIONNAIRES SELON L'ESPRIT
Stephen Bevans : Appelés à être des disciples transformés. Conférence mondiale sur la mission et l’évangélisation
Najla Kassab : La condition de disciple : vivre selon l’Esprit
Claude Tassin : Disciple-Missionnaire : qu’en dit l’évangile selon Matthieu ?
Marie-Hélène Robert : Évangéliser « de proche en proche » en des temps d’incertitude. La mission à la portée de tout disciple
Ester Lucas Maria : Disciples missionnaires dans une Église servante. Expérience ecclésiale au Mozambique
VARIA
Sylvie Robert : Le dialogue avec l’islam : défi pour le chrétien
Rémi Kouassi Fatchéoun : La crise migratoire. Quelle lecture de la Bible dans le débat public ?
CHRONIQUES
Nathanaël Yaovi Soédé : Le SCEAM au coeur d’un continent blessé
LIVRES
Recensions
Nayla Tabbara avec Marie Malzac, L’islam pensé par une femme.
Gilles Séraphin (dir.), Religion, guérison et forces occultes en Afrique. Le regard du jésuite Éric de Rosny.
Luigino Bruni, Ce que dit la Bible sur… Le travail.
Congrégation pour la Doctrine de la foi – Dicastère pour le Service du Développement intégral, Oeconomicae et pecuniariae quaestiones. Considérations pour un discernement éthique sur certains aspects du système économique et financier international.
Michel Lovey, Ce que dit la Bible sur… Le désir.